« chaque instant de la vie est mémorable »

« J’ai oublié votre nom, demoiselle. »
« Potter. »
« Oui. Non. Je voulais dire votre prénom ? »
« Lily. »
« En possédez-vous un autre ? »
« Luna. »
« Oh, c’est intéressant, d’où vous vient-il ? »

La secrétaire pianotant d’une plume sur des cases vierges pour en inscrire de l’encre noire, ignorait platement le visage de Lily mais n’en perdait pas moins sa curiosité. Venir pour un recensement des jeunes sorciers encore scolarisés au sein du château de sorcellerie ne l’enchantait guère et pourtant, son père l’avait traîné le matin même à ses côtés avant de la quitter au guichet pour se diriger ailleurs. Impuissante devant son obéissance fataliste, elle observait les files d’attente se vider à côté d’elle tandis qu’un monopole semblait être accordée sur sa personne.

« De Luna Lovegood-Scamander, j’imagine, répondit-elle sur un ton sarcastique. »
« Oh oui, cette bonne femme, là. »

Un sourcil intrigué et presque méprisant rehaussa le visage de la rouquine qui ne pouvait pas imaginer une seule seconde que les prouesses (et surtout frasques) de ces adolescents de l’époque soient inconnues. Sentant le temps long, son coude vint nonchalamment retenir son menton sur le comptoir du guichet. La fille, elle, pianotait toujours de sa plume et le tas de feuille en-dessous présageait que ça ne prendrait pas cinq minutes.

« Très intéressante bonne femme, je crois qu’elle a eu des jumeaux, c’est bien ça ? »
« Des triplés, exactement. »
« N’était-il pas présent le jour de votre procès pour usage de la magie en dehors de l’institution scolaire ? »
« Observatrice. »

Le compte-rendu de ce jour au tribunal brillait sous ses yeux. Lily n’en accorda pas la moindre importance mais n’en négligea pas moins le sourire de la jeune femme.

« C’était intéressant de savoir la plus jeune des Potter dans un tribunal. »
« Vous comptez me raconter ma vie où on peut passer à la suite ? »
« Troisième année ? »
« Quatrième année. »
« Je parie que vous êtes excellente en potions. »
« Comme vous l’êtes en commérages. »

Le grand sourire de Lily vint croiser les prunelles de la secrétaire qui esquissa un rire.

« Devoir de renseignement. »
« Ou devoir de curiosité, à se demander. »
« Avez-vous pour projet de choisir l’étude des runes ? »
« Pas vraiment. »
« Oh, tant que j’y pense, Lorcan Scamander est-il toujours psychologue au château ? »
« Lorcan Lovegood-Scamander a trouvé mieux à faire. »
« J’ai cru comprendre que vous étiez bons amis. »
« Je vous propose d’en discuter autour d’un café tant qu’on y est ? »
« Maison ? »
« Gryffondor. »
« Deux frères ? »
« Oui. »
« Scolarisés ? »
« Un seul d’entre eux, Albus. »
« Le deuxième ? »
« A l’université. »

Des rires fusèrent dans son dos à quelques pas d’elle et elle observa la chevelure rousse de son oncle sortirent des ascenseurs pour rejoindre la sortie. Ce n’est pas vrai, cette secrétaire savait tout de sa vie mais il fallait qu’elle s’en mêle un peu plus alors qu’elle pouvait remplir ce formulaire toute seule.

« Avons-nous bientôt fini ? »
« Vous me paraissez bien sombre pour une jeune fille réputée si vive. »

Un instant, Lily pensa que la trentenaire faisait référence à l’épisode d’Avalon, à Chess, à Lorcan, à Madness. A cette noirceur envahissant sa main et à ce choix de vivre avec ou d’en perdre un membre. Puis sa paranoïa s’évanouit, se disant que ça paraissait improbable. L’étoile à cinq branches gravée dans sa  nuque semblait faire son effet de protection tandis que la plume sur l’omoplate et la fleur de lys sur les courbes de sa hanche gauche frémissaient de ses pensées.

« D’autres questions ? »
« J’ai oublié de présenter mes félicitations pour le mariage de votre cousine, serez-vous aimable de le faire à ma place ? »

M’enfin, personne sait que t’existes dans notre famille, pauvre tâche.

« Si vous le voulez. »
« Oh, et puis, à vos amis, Romain et Laila. »
« Je le ferai à tout ceux qui se marieront, ça vous va ? »
« Peut-être assisterai-je au vôtre avec le jeune Matthias Hobbes. »
« Au moins une chose que vous ne savez pas puisque je n’ai aucun rapport avec lui. »

Son souvenir.
Elle pensait à le revoir.
Mais ne voulait pas chercher de prétexte.
Du moins, pas maintenant.

« Oh, j’avais cru vous apercevoir dans un bar de Pré-Au-Lard la dernière fois, je me suis sûrement trompée. »

Avec toute la bonté du monde, Matthias et Lily trouvaient un terrain d’entente mais il n’était cependant pas le bon. Lorsqu’ils paraissaient faire un pas, ils en reculaient de cent autres. Le rappel de ce chaste baiser du haut de la Tour d’Astronomie lui embrouilla l’esprit à un tel point que les dernières paroles ne comptaient plus. Seule cette même question raisonnait incessamment dans son esprit : « qu’attend-t-il ? »

« Vous avez fini ? »
« Je vais vous demander une signature juste ici et vous êtes libre. »
« Au revoir. »

Et les portes du Ministère claquèrent sur le chemin du retour.



Sa quatrième année à Poudlard s’était terminée de manière paisible pour sa génération. Quelque peu écartée des violences qui se propageaient dans tout le pays, l’école avait connu une certaine paix pour les examens de fin d’années des collégiens, suffisamment épuisés par les derniers évènements. Les trois factions se détruisaient bien que l’Ordre du Phénix était décrit comme ayant l’avantage. Fine partisante de cette organisation, Lily s’accrochait de plus en plus qu’à de minces espoirs depuis la disparition de Tobias Hellington. Son père, devenu blafard et impatient, se donnait corps et âme pour le retrouver mais les recherches étaient vaines, les fausses pistes fleurissant à chaque nouvel indice.

C’est ainsi qu’après avoir entamé le troisième mois de sa cinquième année dans l’enceinte du collège, l’annonce du sauvetage de Tobias Hellington résonna contre les murs. Lorsqu’on était élevé par Harry Potter, on savait que cet homme arrivait toujours à ses fins. D’une manière ou d’une autre.

Ce qu’on ne savait pas, c’est que le commencement ne semblait jamais être celui auquel on avait pensé.

La Gazette du Sorcier a écrit:« L’ORDRE DU PHENIX BATAILLANT POUR LA PAIX »

Lily fit volte face, arrachant la Gazette du Sorcier des mains d’un de ses camarades de maison, attirée par le titre qui ne signifiait rien d’autre que sa famille à ses yeux. Tournant frénétiquement les pages du journal, arrachant quelques morceaux sous l’énergie du désespoir, la jeune fille, qui faisait de moins en mois ses quinze ans, s’arrêta sur l’article détaillant les évènements.

La Gazette du Sorcier a écrit:« Alors que la guerre a fait perdre la raison à beaucoup de nos citoyens londoniens, nous venons d’apprendre qu’une bataille a fait rage, hier même, au sein du Ministère de la Magie où Tobias Hellington, Harry Potter et leur troupe, ont tenté d’instaurer une certaine paix dans une bataille sanglante. Une tentation menée à terme puisqu’une nouvelle démocratie se met en place, apaisant l’étendu des pouvoirs du Ministre de la Magie face aux assemblées. Un coup d’état, en quelque sorte, dont on attend de voir les répercussions sur la vie quotidienne de nos habitants. »

Médusée, Lily rendit d’un geste las le journal à son camarade un peu surpris de l'effusion soudaine dont elle avait fait preuve et se réfugia au dortoir où elle s’appliqua à écrire un hibou à sa mère.


Ma Lily chérie,

Tobias est mort. Tué pendant les attentats dont tu as entendu parler.

Il ne te reste que trois mois à tenir avant de nous rejoindre et une année où tu deviendras l’une des meilleures sorcières que Poudlard ait connue.

Tout le monde va bien ici, alors, sois raisonnable, s’il te plait, on se retrouve bientôt.

On t’embrasse,

Maman


« Lily a dix-sept ans, Lily a dix-sept ans, Lily a dix-sept ans, Lily a dix-sept ans, Li… »
« Tais toi ou j’utilise ma majorité pour t’enfoncer cet oreiller dans la bouche comme il se doit ! »

Réveillée en fureur par les sauts de son plus jeune frère sur son lit, la jeune femme dorénavant, lança un coussin en direction d’Albus, le visant en pleine tête tandis qu’une bataille s’ensuivit, rassemblant la fratrie après que James ait entendu les cris de rire. Lily fêtait ses dix-sept ans et donc, sa majorité universelle concernant le fait de devenir une adulte mais autorisant également l’usage de la magie en dehors du cursus académique dont elle venait de quitter les murs à jamais.

Alors qu’ils avaient mis la chambre dans un bazar monstrueux, James tendit sa baguette à Lily, mimant le signe d’une révérence pour faire sourire sa sœur. Saisissant l’instrument, la jeune fille l’interrogea du regard, craignant le rire malicieux qui se profilait sur le visage de son frère.

« A toi l’honneur, montre nous tes talents maintenant que tu peux ! »
« Failamalle ! »

Ni une, ni deux, une fois que Lily ait ouvert sa valise au centre de la pièce en guise de rangement de fortune, le sort fusa de sa baguette et la pièce s’anima des objets virevoltants, Albus se prenant le visage dans le tissu d’un de ses t-shirts tandis qu’un pot à crayon tentait de s’échapper de l’interstice où il s’était coincé. Le regard de la cadette s’illumina, ses yeux pétillèrent au maximum de leur bleu, ravie d’une restriction en moins grâce à sa majorité. Elle devenait petit à petit une femme. Ses traits s’affinaient bien que son visage enfantin se faisait encore deviner lorsqu’elle souriait. Elle était heureuse, heureuse d’avoir retrouver ses frères, et ce, définitivement bien qu’Albus ait encore un peu de temps à faire à Poudlard.

Et son sentiment de bonheur se développa lorsqu’elle eut fini de descendre les escaliers et que toute sa famille se trouvait attabler pour le petit déjeuner. Sa plus grande joie fut de voir Lorcan parmi eux, le sourire farceur d’une surprise à la hauteur de sa personnalité, assis à côté de Ted qui affichait une mine ravie. Ses frères rejoignirent leurs parents installés en bout de table, amoureux comme au premier jour. Ses grands-parents quant à eux, arboraient toujours le même enthousiasme des évènements familiaux, accueillant Lily d’une étreinte qui failli l’étouffer.

« Viens donc t’asseoir et manger un bout avant tes cadeaux. »

Après avoir embrassé chaque membre de la tablée lui souhaitant un joyeux anniversaire, la jeune femme s’asseyait à son tour et profita de chaque présent qu’on lui tendit : une nouvelle cape d’hiver, plus féminine, plus élancée, plus moderne ; une traditionnelle montre ; un sac en perles de sa tante Hermione pouvant contenir une infinité d’objets ; quelques gallions ; un fin bracelet d’or blanc et orné de diamants ainsi qu’une plume que Ted argumenta d’un sarcastique « parce que tu auras de quoi gratter quand tu seras avocate et que tu devrais me défendre. » ce qui eut le don de faire rire tout le monde.

Ce fut au tour de Lorcan de lui tendre une enveloppe teintante d’objets métalliques.

« N’oublies pas de m’y inviter, indiqua-t-il en glissant une nouvelle fleur de lys dans ses cheveux. »

Accompagné d’une photographie représentant une maison des plus magnifiques qu’elle n’ait jamais vu, vivante d’un Elfe de maison qui s’animait à côté de la porte d’entrée. Un sourire immense et plein d’émotions différentes éclaircit les yeux de Lily qui remerciait silencieusement Lorcan de sa folie.

Ils auraient l’occasion de rediscuter du type de cadeaux dont bébélionne, comme il affectionnait l’appeler parmi d’autres surnoms, lui avait fais part, pour l’instant, les prochaines vacances se programmaient dans cette maison qui dépassait toutes les attentes qu’une jeune femme de dix-sept ans pouvaient avoir.




Noël approchait à grands pas et Lily commençait à comprendre que ses mauvaises habitudes devraient être impérativement éradiquées pour le Noël prochain. En dix-neuf ans de vie, depuis qu’elle avait l’âge de ne plus se faire surprendre par le temps pour des cas tels que cette fête de décembre, elle a toujours été incapable de prévoir et de s’y prendre à l’avance, se retrouvant comme aujourd’hui emmitouflée dans la cape de ses dix-sept ans pour braver le froid de cette hiver qui ne pardonnait pas. Elle n’était plus la petite fille de douze ans que certains adultes qui la croisaient et qui la reconnaissaient, avaient connu comme, peut-être, courageuse, mais peu crédible devant son visage d’enfant. Elle saluait d’un sourire quelques connaissances de son père qu’elle avait eu l’occasion de rencontrer, n’en avait pas oublier sa passion du Quidditch et admirait les sans cesse évolutions des balais. La boutique de son oncle connaissait toujours autant de succès et c’est sans surprises que la même queue habituelle à l’approche des fêtes dépassait du trottoir sur le Chemin de Traverse. Ce chemin qu’elle appréciait tant.


Il lui avait fallu presque cinq ans pour revenir à Londres. Pourtant, la guerre était finie depuis longtemps déjà, mais Jacob n’avait pas pu se résoudre à un retour trop prompt. Plus rien ne le rattachait à cette Angleterre qui pansait ses blessures, une fois de plus. Plus rien en oubliant Lily, évidemment.
Et c’était avec la pensée de cette jeune fille devenue femme qu’il n’avait pas vu depuis son exil qu’il accepta un contrat à Londres, du côté sorcier. Il avait la ferme intention de la revoir. D’abord, il donnerait une relique maya qui détenait un puissant pouvoir de guérison à un client, suite à quoi il rendrait visite à Lily. Aux Potter.
On était en décembre 2029. Bientôt Noël. Sans éprouver d’émotion particulière, Jacob marcha, pour la première fois depuis une éternité à travers la foule opaque, satisfait d’être cet anonyme à qui on ne prête aucune attention. Il se rendit au Chaudron Baveur où il négocia une chambre, la dernière qui restait en ces temps de réjouissance.
Après une nuit calme et sans histoire, Jacob décida de flâner une partie de la matinée dans les boutiques du chemin de traverse. Il aurait pu, bien sûr, profiter du temps imparti pour revoir Lily, mais il préférait de loin s’occuper de ses affaires commerciales avant tout. Il n’aurait plus la tête à la vente après avoir revu Lily.
En errant tel un spectre, ses pieds atterrirent finalement devant la boutique des jumeaux Weasley. Dernier endroit où il avait vu Lily. Dernier endroit qu’il avait vu avant de s’exiler.
Et, ironie du sort, premier endroit où il croisa Lily Potter.


Son corps se figea. Ses membres s’engourdirent et son esprit ne semblait plus en mesure de penser. Ses prunelles semblèrent se perdre au milieu de la foule mais elles fixaient cependant un point bien précis. Sa main s’était durcie dans la poche de sa cape d’où elle cherchait à en tirer quelques gallions pour un passage au Trois Balais tandis qu’un nœud se formait lentement au creux de sa gorge. Sa poitrine avait sursauté de surprise, son cœur paraissait prendre un coup de poignard. Son estomac se noua. Elle eut envie de s’écarter du chemin, de disparaître de sa vue mais l’envie de croiser son regard était plus forte que tout. Malgré l’abandon, malgré le silence et l’incompréhension, malgré le doute, malgré les divergences et les opinions, malgré toutes les questions sans réponses et celles informulées, il se tenait enfin là. Combien de mètres les séparaient ? Peut-être cent ? Peut-être moins ? Le voyait-elle aussi loin que dans ses souvenirs ? Son corps n’arrivait pas à se détendre. Elle avait vécu le pire schéma d’un premier amour et lui, il semblait simplement fixer l’enseigne Weasley comme plongé dans ses méandres.
Et il pivota son visage.
Jacob Dragonneau avait alors plongé ses iris dans ceux de Lily Potter.


Jacob avait rejoué encore et encore, pendant tout ce temps, pendant toutes ces années, cette scène de retrouvaille avec minutie. Il s'était préparé à toute éventualité, aux dialogues les plus agréables comme les plus houleux ; mieux, il avait écrit une centaine de tirades pour son retour, dans le ton le plus drolatique ou le plus sérieux selon les circonstances. Et depuis quelques jours qu'il passait en revue ses mots, ces mots avec leur portée et leur signification. Mais maintenant qu'il se trouvait face à Elle, il ne se souvenait de rien, et c'est comme s'il se réveillait d'un vieux songe, d'un charmant cauchemar. Il renaissait.
Toute l'ironie du monde se trouvait dans cet endroit, lieu de leurs adieux factices et lieu de leurs retrouvailles sans grandiose.
Jacob regardait Lily dans les yeux et Lily regardait Jacob dans les yeux. Quelles pensées inextricables pouvaient la parcourir à cet instant précis où leur regard s'accordaient pour la première fois depuis une éternité ?
Alors, il s'approcha, ignorant la foule et les gens qui la compose, et attrapa la main de celle qu'il aimait, avec une telle douceur qu'un observateur inattentif aurait pu n'y prêter aucune attention.
Puis, sans arrêter de la fixer, Jacob dit:

- Je suis revenue pour toi.


Le monde entier aurait pu trouver ces mots si faciles à prononcer, si simple à faire croire. Le monde entier sauf Lily. Les milliers d’interrogations qui lui restaient sans réponse depuis des mois surgirent à nouveau, les prunelles de Jacob l’hypnotisant comme au premier jour. Ce rêve qu’elle avait si souvent fait se déroulait à présent sous l’ignorance des passants, une bulle enveloppant les deux jeunes gens dont les sentiments s’échappaient au travers de leurs mots et de leurs regards. Ce qui avait été un soupçon pour certains se confirmait aux yeux de la population londonienne entière à l’endroit exact où ils s’étaient quittés. Le contact que Jacob imposa sur sa main l’enfonça un peu plus dans ses rêveries mais la chaleur humaine qui traversa son corps lui fit savoir que sa vie était en train de se tracer. Un peu hésitante, Lily laissa échapper son désir de le toucher sous tous les pores de sa peau en resserrant l’étreinte autour des doigts du jeune homme. Les yeux qu’elle avait abaissés sur leurs mains unies replongèrent dans ceux de Jacob qui lui fit part de son envie la plus secrète. Pour elle, avait-il dit. Il était revenu pour elle. Et rien que ces paroles suffirent à oublier la rancœur de l’abandon. Sa voix loupa un son sous le coup de l’émotion, dérailla même devant l’ampleur de ce qu’elle ressentait.

« Où étais-tu ? »


Lui-même avait peur de défaillir en entendant cette voix, la voix de Lily, sous le coup de l'émotion et dont il devinait filigrané toute sa force de caractère.
Il lui sourit doucement après qu'elle lui ait demandé où il avait été. Cette question, bien sûr, il s'y était attendu. Peut-être dans son imagination l'avait-il inscrit plus tard dans la conversation, mais elle était inévitable.

- J'ai été partout, sauf au Royaume-Uni, sauf auprès de toi, lui confia Jacob.

Devait-il s'épancher davantage sur les raisons qui l'avait pousser à s'exiler sans le moindre contact avec elle depuis son départ précipité ? Evidemment. Il le ferait. Mais pour l'heure, il n'y pensait pas, il ne préparait plus rien, il savait juste qu'il était là face à elle. Il la dévorait des yeux, comblant un apétit qui avait duré cinq ans.
Et soudain, il eut peur. Peur parce qu'elle était sublime et qu'il n'était pas le seul à le voir, peur parce qu'il était sûr tout à coup qu'elle avait pu jeter son dévolu sur un autre, peur qu'elle puisse être heureuse mais avec un autre.
Alors, il l'amena sur la grève du trottoir, là où la marée de passant est moins forte et dit:

- Je suis revenu pour construire quelque chose, maintenant que le monde sorcier est plus calme et que je suis moi-même apaisé.

Tout avait changé, sauf peut-être les sentiments qu'il portait pour elle. Jacob se considérait à présent comme sans nom ni blason, mais pouvait tout de même percevoir l'ironie qu'il pouvait y avoir dans son amour. Lui, un Dragonneau; elle, une Potter. Il l'avait quitté jeune fille et il la trouvait femme.


Sauf au Royaume-Uni, bien évidemment. Lily avait même fini à cette époque par cesser de compter les jours qu’elle avait passé à la recherche de Jacob, chaque jour qui s’étaient écoulés sans le savoir à quelques mètres d’elle. Elle en avait été épuisée. S’en était sentie abandonnée. Et aujourd’hui, il lui annonçait qu’il voulait construire quelque chose.  Encore une fois cette facilité déconcertante dans les mots de ce garçon devenu un homme. Ils avaient bien grandi depuis leur dernière discussion. Bien appris. La situation actuelle ne pouvait que démontrer l’impact de cinq années de silence. Cinq années d’aveuglement, de mensonge à soi-même. Quelle femme pouvait aujourd’hui dire, à presque vingt ans, qu’elle se réservait pour un seul homme, pour celui qu’on disait être le bon, en faisant croire qu’il n’était pas encore arrivé alors qu’un seul prénom résonnait dans votre esprit chaque jour ? Quelle femme, sauf Lily ?
La  foule s’était désépaissi après qu’il l’ai emmené quelques mètres plus loin. La bulle qu’ils avaient construite au premier regard, se resserrait petit à petit, n’entendant rien de plus que la voix de l’autre et ne pouvant rien voir de plus que le visage de l’autre. Sa présence la submergeait de bonheur. Elle en avait été déconcertée, secouée, surprise et même abasourdie mais elle ne s’était jamais sentie aussi apaisée qu’à ce jour. Elle comprenait. Elle ne se forçait plus à comprendre, elle avait enfin saisi. Pourquoi il était parti, pourquoi il lui avait fait croire que rien n’avait jamais eu d’importance. Il était parti en garçon perdu, il revenait en homme sûr de soi. Il semblait avoir retrouver ses repères et savoir enfin où poser ses bagages.

Après quelques minutes de silence, de regards pleins de mots échangés, un sourire vint retrousser les lèvres de la jeune femme, timidement, sa main allant tendrement se plonger dans les mèches rebelles de cette chevelure masculine tandis que sa voix reprenait de son assurance et que son regard devenait plus doux qu’égaré.

« Dis moi juste que tu n’as pas souffert d’une quelconque manière pendant tout ce temps et ça m’ira. »


La tournure de cette rencontre prenait des allures de rêves éveillés. A présent, l'un comme l'autre se comprenaient à demi-mot. Il y avait mystérieusement en ces instants de fugacité une harmonie entre le coeur et l'esprit.
Jacob savoura cette main qui lui parcourait les cheveux, et surtout cette préoccupation que Lily pouvait avoir pour lui, après tout ce temps. Avait-il souffert ? Bien sûr, et plus que de raison. Mais il ne concevait pas le moindre regret pour son exil, même si cela avait impliqué de ne plus la voir elle.

- Je n'ai jamais souffert pendant ces cinq ans, assura-t-il, ou sinon seulement d'un certain éloignement qui aujourd'hui a disparu.

Les deux jeunes gens se perdirent dans les dédales de leurs conversations et dans les petites ruelles. Ils passèrent la journée ensemble, veillant tard sous le ciel étoilé, sous un toit où quelques chats de gouttières feulaient mécaniquement une rage étouffée.
Puis les jours, les semaines et les mois passèrent invariablement avec Jacob et Lily, ou Lily et Jacob qui reprenaient le cours d'eau de leur relation là où elle n'avait même pas encore commencée.
Ils avaient atteint quelque chose. Peut-être que cela s'appelait le bonheur; en tout cas ce n'était pas désagréable.


Lily était aujourd'hui une jeune femme pétillante de vie. Heureuse avec Jacob dont elle partageait la vie depuis bientôt sept mois, elle menait à bien ses études de droit pour poursuivre une carrière juridique en tant qu'avocate. Une profession qui correspondait plutôt tout a fait à sa personnalité et à son tempérament. D’autant plus depuis qu’Artémis avait eu accès au pouvoir et abusait de sa position dans une monarchie surréaliste pour instaurer des lois qui n’avaient aucun sens. Immonde humaine, elle ne cherchait qu’à réduire à néant la nature du monde humain et animal, poussant les personnes ralliées à sa cause à ne considérer les créatures uniquement que comme des moins que rien, provoquant la rébellion de certaines qui souhaitaient réduire les hommes à l’esclavage. Toujours entourée de sa famille, de son meilleur ami et ravie de pouvoir mener la vie dont elle rêvait, l’instabilité présente dans le pays que Lily chérissait tant et la violence des actes qui se perpétraient ne faisait que la conforter dans l’idée de se battre, pour elle mais surtout pour ses proches. Elle devenait une femme. Sa parole pouvait compter autant que celle de n’importe qui d’autre. Et elle comptait bien faire l’entendre.